L’enquête de la Pew Foundation (N.D.T. : cette fondation réalise des sondages d’opinion publique aux USA) sur les Mormons publiée la semaine dernière confirme que les Mormons des États-Unis sont plus conservateurs (66 pour cent) par rapport à la population en général (37 pour cent), et sur la plupart des questions, ils suivent de près les Évangéliques blancs. Mais l’immigration est une question qui met les Mormons à part de leurs homologues évangéliques.
Interrogés sur la question de savoir si les immigrants sont une force ou un fardeau, 59 pour cent des Evangéliques blancs ont dit qu’ils sont un fardeau, tandis que seulement 41 pour cent des Mormons ont le même sentiment, comparativement à 44 pour cent pour la population en général. Ce résultat est surprenant, étant donné la façon dont les Mormons sont résolument conservateurs sur presque tous les points. Fait intéressant, 50 pour cent des Protestants blancs et 49 pour cent des Catholiques blancs ont également opté contre l’immigration, même si aucun de ces deux groupes ne soit aussi uniformément conservateur que les Evangéliques ou que les Mormons sur d’autres points.
Dan Cox, directeur de recherche à l’Institut de Recherche Publique sur la Religion, à Washington, DC évoque plusieurs raisons pour expliquer ce résultat surprenant. Il fait d’abord appel à la démographie pour expliquer pourquoi les Mormons sont plus ouverts aux immigrants que ne le sont les Evangéliques blancs. “Les Évangéliques blancs sont significativement plus bas sur l’échelle socio-économique que la plupart des autres groupes religieux. Ceux qui sont plus vulnérables économiquement sont plus susceptibles de voir des nouveaux arrivants comme des menaces”, dit-il.
Les résultats de la Pew valide cette explication socio-économique. Il apparaît clairement qu’il y ait un lien étroit entre un fort engagement religieux mormon et leur statut socio-économique. Quatre-vingt-quatre pour cent des diplômés universitaires mormons sont très engagés dans l’Église, mais seulement 50 pour cent de ceux qui n’ont qu’un diplôme d’études secondaires partagent ce même niveau d’engagement. Cet écart socio-économique se traduit également dans leurs positions sur l’immigration : 50 pour cent des Mormons moins engagés considèrent les immigrés comme un fardeau, contre 36 pour cent des Mormons très engagés.
Cox souligne également l’âge comme facteur-clé, en relevant un surprenant sentiment anti-immigration chez les Protestants et les Catholiques blancs. “Les personnes qui font partie de ces deux groupes ont tendance à être plus âgées que le public en général”, affirme Cox, “et nous constatons que les jeunes sont beaucoup plus ouverts à l’immigration”. Effectivement, la Pew constate que 49 pour cent des Mormons entre l’âge de 18 à 49 ans considèrent les immigrés comme une force, tandis que seulement 39 pour cent des Mormons de plus de 50 ans déclarent la même chose. La jeunesse mormone a un impact sur les résultats : selon une étude du Pew, datée de 2009, 41 pour cent de la population générale était âgée de plus de cinquante ans, alors que seulement 34% des Mormons se trouvaient dans cette catégorie.
Cox pense aussi que la culture est un facteur dans la tendance mormone à être plus tolérants vis-à-vis des immigrants, citant en particulier l’accent mis par l’église des SDJ vers l’extérieur et l’influence communicative des missionnaires rentrés de l’étranger. “Quand vous avez une plus grande interaction avec quelqu’un”, remarque Cox, “vous vous sentez plus à l’aise avec eux”. Une statistique exprime l’impact de cet élément culturel mormon : 70 pour cent des 33’000 étudiants de BYU sont bilingues. (N.D.T. : La Brigham Young University – BYU – est l’une des universités d’Utah et est, principalement, fréquentée par des étudiants mormons).
Theresa Martinez, une professeure non-Mormone de sociologie à l’Université d’Utah, seconde Cox avec insistance sur leur attention vers l’extérieur. “J’ai enseigné plus de 7000 étudiants”, dit-elle, “environ la moitié d’entre eux étaient probablement des SDJ, avec une proportion importante parmi eux de ces missionnaires de retour, et la moitié d’entre eux revenaient de missions servies en Amérique latine”. Ces élèves ont exprimé un fort attachement aux peuples et aux communautés qu’ils ont servi, dit Martinez. “Et après avoir vécu cela, vous n’êtes plus un gamin mormon couvé, vous comprenez que la vie est beaucoup plus vaste et qu’elle s’étend au-delà de votre arrière-cour”.
Alors que les graines de l’ouverture ont été plantées dans cette culture, d’autres remarquent que les dirigeants de l’Église ont récemment donné un léger coup de pousse dans cette direction. L’année dernière, les partisans jusqu’’au-boutistes de l’immigration clandestine en Utah ont été sur le point de copier les politiques d’immigration sévères de l’Arizona, lorsque les centristes – avec le soutien discret mais clair des dirigeants de l’Eglise – ont inversé les choses avec une législation largement remarquée qui permettrait à certains travailleurs sans-papiers d’obtenir des permis de conduire ainsi que du travail. À l’automne 2010, l’Eglise a également déclaré soutenir les principes du Pacte de l’Utah, qui demande instamment des solutions humaines et mesurées au niveau fédéral.
Et pourtant, des divisions au sein de la communauté SDJ demeurent. Chris Herrod, de Provo, membre de la Chambre des Représentants d’Utah et chef de file des efforts anti-immigration clandestine dans l’Utah, se considère comme pro-immigration, en faisant remarquer que son épouse est originaire de l’Ukraine, sa belle-sœur de Corée et son collègue de travail, de l’Ethiopie.
Herrod souligne que l’étude de la Pew concerne l’immigration en soi, plutôt que l’immigration clandestine, et il dit qu’il est souvent resté perplexe lorsque les débats sur ces deux questions s’entremêlent. “Je crois en l’immigration”, dit-il. “C’est le melting-pot qui a fait que ce pays est grand. Mais dernièrement, nous semblons nous diviser en une nation bilingue et biculturelle. Nous avons besoin de donner des chances égales aux Africains, aux Asiatiques, aux Asiatiques du Sud et aux Européens de l’Est, et nous avons besoin de revenir à ces croyances fondamentales, où on accepte la langue et le mélange des cultures”.
Richard Davis, professeur en sciences politiques à l’université Brigham Young, voit la position de l’Eglise de l’été dernier comme un dialogue ayant un impact sur cette question au sein de l’Utah et parmi les Mormons des États-Unis. “Pendant des années, la revendication portait entièrement sur l’immigration clandestine et la nécessité de renforcer la loi”, dit-il. “L’Église a donné un petit coup de coude à l’ordre du jour. Maintenant, il s’agit plus de la façon dont nous traitons les gens, peu importe la façon dont ils sont arrivés ici”.
Charles Morgan, un sociologue de BYU qui étudie l’immigration, voit la culture et le positionnement de l’Église comme se renforçant mutuellement. Morgan explique que “plus le contact que vous avez avec un groupe est rapproché, plus vous êtes susceptible d’avoir de la compassion et de les voir comme des égaux”. Tout comme Davis, Morgan considère également le positionnement de l’Église comme significatif : “L’Église projette une image positive des immigrants et je pense que cela entre en résonance avec les Mormons les plus pieux”.
Morgan se tourne vers l’Arizona, où un sénateur mormon de l’Etat, de la zone de Mesa, fortement peuplée par des Mormons, était président du Sénat et avait rédigé la politique controversée de l’Etat en matière d’immigration, et qui a été remplacé en novembre par un autre Mormon lors d’une élection anticipée. Le nouveau sénateur, Jerry Lewis, a été encouragé à se présenter, par des membres SDJ dans la région de Mesa qui étaient préoccupés par ce qu’ils considéraient comme un ton rude sur l’immigration illégale.
Jason Labau, qui mène des recherches sur l’histoire politique de l’Arizona, à l’Université de Californie du Sud, voit également la politique récente de l’Église et des facteurs culturels sous-jacents comme renforcement. “Il s’agit d’un changement beaucoup plus long”, dit-il, “et il découle de l’expérience missionnaire. Plusieurs de mes amis, avec qui j’ai grandi en Arizona, sont résolument conservateurs, et la seule question sur laquelle nous avons le même point de vue est celle de l’immigration. Ils ont servi dans des missions au Chili, au Guatemala et au Mexique, et ils considèrent les gens originaires de ces pays comme des égaux qui sont à la recherche de quelque chose de mieux”.
Eric Schulzke est le directeur du projet Apollo 13 (a13.org), une initiative pour la réinsertion des prisonniers, basé à l’Utah Valley University. Il peut être contacté à cette adresse : eric@a13.org.
Ressources supplémentaires :
Série complète des enquêtes de la Pew réalisées sur les Mormons : Les Mormons en Amérique