Quand Bryan Hall s’est dirigé vers un groupe de protestataires au moment de la conférence générale une matinée glaciale d’octobre, il ne pensait pas qu’un jour il se lierait d’amitié avec leur leader, Ruben Israel, un homme qu’il haïssait, un homme qu’il n’avait jamais rencontré.
Pendant des années ce Mormon fervent, né et élevé en Utah, avait vu Ruben Israel et d’autres comme lui provoquer les membres juste à l’extérieur des événements les plus inspirants de l’Eglise : la conférence générale, le spectacle de Manti, et le spectacle de la Colline de Cumorah, pour ne citer qu’eux. Il trouvait que leurs manifestations étaient cruelles, irrévérencieuses, et ignorantes. Il ne pouvait simplement rien voir de bon dans ces gens en général.
Mais il a trouvé en Ruben Israel son ennemi juré.
« Je me suis retrouvé en train de regarder toutes sortes de vidéos sur Youtube, répertoriant un certain nombre de ces ‘anti-Mormons’ qui nous persécutaient pendant les sessions des conférences générales. » dit-il. « Je me suis focalisé sur une personne en particulier : Ruben Israel. »
« Ruben concentrait à lui seul tous les mauvais souvenirs et impressions négatives que j’avais de ces protestataires en grandissant. Il était bruyant. Il voulait provoquer. Il cherchait vraiment la confrontation. Et il était résolument ‘anti-Mormon’ ».
Bryan Hall détestait ce qu’il voyait. Il imaginait que beaucoup de Mormons devaient également avoir les mêmes sentiments envers ces gens. Il détestait leur manque de respect envers les choses que lui et tous les Mormons considèrent comme sacrées. Mais pour une étrange raison, il concentrait toute sa colère sur l’homme qui semblait être leur leader : Ruben Israel.
« A force d’y penser », dit-il, « la colère en moi a grandi jusqu’à atteindre un niveau insupportable. C’est triste de me rappeler à quelle point la colère est montée en moi. » Mais il pensait que défier Ruben Israel rendrait les choses encore pires. Il essaya de ne plus y penser, d’ignorer le problème. Mais il n’y avait rien à faire.
LA LUTTE CONTRE LA HAINE
Bryan Hall dit : « Dans mes conversations avec d’autres amis membres de l’Eglise ou des connaissances, que nous soyons diplomates et calmes ou en colère, parler de ça n’était jamais inspirant. Mais l’ignorer rendait les choses encore pires. Le simple fait d’essayer de l’ignorer m’y faisait penser et me rappelait que je ne pouvais pas l’ignorer. »
Mais Bryan Hall pensait qu’ignorer ces gens était précisément ce qu’il était censé faire. Il avait été témoin de beaucoup de scènes de confrontations entre Mormons et protestataires, et les choses dégénéraient assez vite. Alors qu’il était un jeune garçon, il allait souvent avec sa famille voir le spectacle de Manti en été. C’est là qu’il a découvert la colère qui accompagnait les « discussions » entre Mormons et protestataires. C’est là qu’il a appris que la meilleure chose à faire était peut-être de les ignorer.
« Je n’étais qu’un gamin qui regardait ça de loin, alors que des membres de ma famille essayaient de raisonner avec ces gens. Je n’écoutais jamais ce que les uns et les autres disaient. Je ressentais juste la dispute. Je me souviens penser que quelque chose n’allait pas bien du tout. Mais en regardant en arrière maintenant, je réalise que ces mauvaises expériences venaient du fait que tout le monde enfreignait le commandement donné par Jésus disant qu’il ne devrait pas y avoir de disputes parmi nous.» Il réalisait que ce n’était pas ce qu’ils disaient qui importait ; c’était la façon avec laquelle ils se comportaient les uns avec les autres.
Soudain, il s’est souvenu d’un autre jeune garçon qui était également désorienté par la haine et les disputes qui l’entouraient : Joseph Smith, alors âgé de 14 ans. Plus Bryan Hall étudiait le récit de la première vision, plus il ressentait que la confusion de Joseph Smith venait de la dispute même.
« Quand j’étais jeune j’ai vu ces disputes » se rappelle-t-il. « C’étaient les moments les moins spirituels que j’avais jamais vécus. Et aucun parmi ceux impliqués dans la discussion, peu importe leur religion, ne ressentait l’esprit de Jésus. Alors je peux dire que je comprends la confusion de Joseph Smith concernant les disputes. »
Après cela, Bryan Hall a su qu’il ne pouvait plus balayer sa colère et sa confusion sous le tapis. « Je n’étais pas en paix avec ce que j’interprétais comme étant la manière appropriée de gérer la situation. Et donc j’ai pensé qu’il était spirituellement de ma responsabilité de laisser tomber. » Mais après un moment, la colère et l’impossibilité de l’ignorer est devenu trop forte pour lui. A la suggestion d’un ami, il décida de finalement aller parler à Ruben Israel.
« Je me suis mis à penser que j’étais peut-être celui qui avait tort » se souvient-il. Il s’est rappelé d’une écriture dans les Doctrine & Alliances disant : « celui qui ne pardonne pas à son frère ses offenses est condamné devant le Seigneur ». Bryan Hall se souvient : « Soudain, ce jour-là, il est devenu très clair que j’étais celui qui commettait le plus grand péché. »
Et donc, juste avant la session du samedi matin de la Conférence Générale d’octobre 2007, Bryan Hall s’est approché de Ruben Israel dans la rue. Il avait beau être décidé d’aller lui parler, il ne s’était pas préparé à ce qu’il a vu, ni à ce qui a suivi.
LA RENCONTRE AVEC L’ENNEMI
Alors que Bryan Hall marchait vers Ruben Israel en ce samedi matin, il le regardait avec attention motiver les autres manifestants et organiser les évènements de la journée. Cela l’a beaucoup marqué. « Cela n’avait pas l’air aussi fou que ce que j’imaginais. Quand je l’ai vu en personne, il n’était pas aussi effrayant que sur les vidéos sur internet. »
Quelques minutes plus tard, il présentait ses excuses à Ruben Israel, l’homme qu’il détestait depuis des années sans jamais l’avoir rencontré. « Je me suis trouvé devant lui disant :’Je vous ai détesté toute ma vie. Je suis venu pour vous présenter mes excuses et essayer de comprendre pourquoi je n’arrive pas à me le pardonner. Pourrions-nous aller déjeuner ensemble ?’ »
Bryan Hall fut très surpris par la réponse de Ruben Israel. « Il était très ouvert », dit-il. « Il m’a répondu quelque chose comme : ‘Et bien mon frère je ne vous déteste pas. Ne vous trompez pas, votre doctrine m’inquiète. Mais je ne vous déteste pas, et Jésus ne vous déteste pas non plus.’ Et quelques secondes plus tard, nous partions ensemble. C’était complètement différent de ce que j’avais anticipé ou de ce que les autres m’avaient dit qu’il se passerait. »
Bien que Bryan Hall fût surpris, Ruben Israel ne l’était pas du tout. Pour lui, Bryan Hall était simplement un Mormon de plus qui essayait de comprendre pourquoi lui et ses amis étaient là. Ce qui l’avait surpris était d’entendre des excuses sincères d’un homme qu’il n’avait jamais rencontré.
Alors que Bryan Hall et ses amis étaient assis autour d’une table de restaurant avec Ruben Israel et ses amis dans le centre-ville de Salt Lake City, il était surpris de réaliser que ces « protestataires », comme il les appelait auparavant, ne se considéraient pas du tout comme tels. Ils se considéraient comme des « prêcheurs de rue ». Il était marqué par le fait qu’ils étaient tout aussi dédiés à partager leur vision de l’Evangile que le sont les missionnaires de l’Eglise.
Ruben Israel parla ouvertement et de manière franche avec Bryan Hall des raisons pour lesquelles ils font ce qu’ils font, et pourquoi ils le font aussi bruyamment. « Tout ce qu’il pensait de nous était un peu différent », dit Ruben Israel. « Ce qu’il a vu de nous sur le trottoir et au cours de notre déjeuner étaient très différent de ce qu’il attendait. C’est ce qui l’a pris un peu par surprise. »
Bryan Hall apprit que Ruben Israel vit à Los Angeles et voyage partout aux Etats-Unis pour prêcher dans différentes manifestations religieuses. Une fois que Bryan Hall compris que Ruben Israel ne détestait pas les Mormons spécifiquement et ne s’opposait pas qu’à la doctrine mormone, sa perception de ce groupe commença à changer.
LA DECOUVERTE D’UN POINT DE VUE DIFFERENT
« Vous réalisez que leur but dans la vie n’est pas de véhiculer des messages anti-Mormons », dit-il. Leur mission est d’enseigner la parole de Dieu comme ils l’a perçoivent dans la Bible. C’était une nouveauté pour lui.
« Ce n’est pas que les Mormons » dit Ruben Israel. « Nous sommes également présents lors des rassemblements Musulmans, Témoins de Jéhovah, et Catholiques. Ce que nous essayons de faire est de rappeler aux gens qu’il ne faut pas voir plus grand que le Dieu de la Bible. »
« Il ne m’était jamais venu à l’esprit que ces gens pouvaient être des disciples du Christ qui essayent de m’aider », dit Bryan Hall
Et après un repas très agréable ensemble, Ruben Israel invita Bryan Hall et quelques-uns de ses amis à venir dîner avec lui et d’autres prêcheurs de rue le soir après la session générale de Prêtrise. Comme c’est la tradition dans la culture mormone, Bryan Hall décida d’apporter quelque chose au dîner pour contribuer au repas et en signe d’amitié. Des cookies et des boissons devraient faire l’affaire.
Bryan Hall était un peu nerveux alors qu’il marchait dans l’allée et frappait à la porte. « Je me disais, des prêcheurs de rue. Ouah ! Mais c’était des gens comme moi. Ils priaient, et ils étaient tous tellement reconnaissants de la nourriture qui était servie. » Il était surpris de voir à quel point ils étaient reconnaissants envers le Seigneur et à quel point ils l’aimaient.
Pour Ruben Israel, Bryan Hall semblait être sincère dans sa démarche de rapprochement avec lui et ses amis. Il était même très impressionné du fait qu’il avait le courage de venir dîner avec un groupe de prêcheurs de rue qui pouvaient sembler un peu rugueux.
« Pour Bryan, venir au dîner a nécessité beaucoup de foi », dit Ruben Israel. « Nous aurions pu mettre quelque chose dans sa nourriture ou lui faire boire quelque chose de mauvais ; nous aurions pu l’attendre avec des matraques, des couteaux ou je ne sais quoi. Mais il est venu. Ça a pris du courage, et j’apprécie cela. »
Au fur et à mesure que la soirée avançait, la perception qu’avait Bryan Hall de ces gens qu’il avait considéré comme ses ennemis changeait. Ils étaient venus de tous les Etats-Unis pour se rassembler et prêcher la parole de Dieu telle qu’ils croyaient qu’elle devait être prêchée. Et ils le faisaient tous en payant de leurs poches.
« C’est là que tout a changé », dit Bryan Hall. « C’était surréaliste, car c’était comme si je mangeais avec l’ennemi. Mais ils n’étaient plus mes ennemis. A mon grand étonnement, je n’ai pas seulement trouvé la paix avec moi-même ce soir-là. J’ai trouvé un ami. Comme à l’école lorsque tout à coup votre ennemi juré devient quelqu’un de bien. Quelque chose s’est passé qu’il serait irresponsable de ma part de renier. Je ressentais l’amour de Dieu pour cet homme, et ne pouvais que reconnaître la Grâce du Christ en cela. »
LA RECONNAISSANCE DE NOS DIFFERENCES
Aucun de ces hommes ne pensaient lier une amitié durable ce soir-là, mais c’est exactement ce qui s’est passé. Au fil des ans, ils sont restés en contact. Quand Ruben Israel vient en Utah pour les conférences générales, Bryan Hall lui ouvre la porte de sa maison et le laisse y dormir gratuitement.
« Lors de mes déplacements à Salt Lake City, je reste chez Bryan », dit Ruben Israel, « même s’il sait que je vais me lever le matin et aller devant le centre de conférence pour prêcher contre son Eglise. Même après les conférences nous rentrons chez lui et nous discutons jusqu’à une heure du matin de la Bible et des écritures. »
Toutes ces discussions tardives leur ont appris qu’ils ont beaucoup en commun, plus qu’ils ne le pensaient. Et ces points communs les ont menés à avoir un respect sincère l’un pour l’autre.
« Tout d’abord », dit Ruben Israel, « nous aimons tous les deux la version de la Bible du roi Jacques, et je pense que c’est unique. Je pense que les Mormons ont beaucoup de choses qui manquent aux chrétiens. Je pense que les Mormons attachent une grande importance à la famille, au patriotisme, et au fait de vivre une vie saine. »
Mais même lorsqu’ils ne sont pas d’accord sur un point de doctrine, ils attachent une plus grande importance au fait d’être amis qu’au fait d’avoir raison.
« Le fait que je ne sois pas d’accord avec Bryan ne fait pas de lui un voisin avec lequel je ne peux pas passer du temps », dit Ruben Israel. « Je sais qu’il est toujours mormon et je ne vais pas le changer. Et il ne va pas me changer. Mais nous nous entendons bien. »
« Je ne suis pas d’accord avec Ruben sur la doctrine et la méthode », dit Bryan Hall. Mais malgré cela il admire Ruben Israel pour son dévouement à ce qu’il croit, bien qu’il n’approuve pas ses méthodes. Mais même cela ne l’empêche pas de continuer à apprendre des choses de son ancien ennemi.
APPRENDRE L’UN DE L’AUTRE
« Je sais que cela parait fou », dit Bryan Hall, « mais j’ai vraiment appris à améliorer ma propre foi en écoutant ses petits sermons. C’est une encyclopédie vivante de sermons et de petites phrases inspirantes. Et puis il a cette foi tellement grande, une foi sincère. »
Bryan Hall n’avait jamais imaginé que lui et Ruben Israel partageaient un immense respect pour Joseph Smith et tout ce qu’il a fait pour les premiers Saints. « Ruben a ce respect pour Joseph Smith », dit-il. C’est un point commun qui a vraiment pris Bryan Hall par surprise.
« Est-ce que je suis d’accord avec Joseph Smith ? » demande Ruben Israel. « Non. Mais vous savez quoi ? Il est allé en prison pour ses croyances. » Ruben Israel n’est pas d’accord avec la doctrine qu’enseignait Joseph Smith, mais il admire le fait qu’il était prêt à se faire tuer pour ce qu’il croyait.
Les deux hommes parlent d’autres sujets que la religion. Ruben Israel est originaire de la Californie et est un énorme supporter des Lakers, une équipe que Bryan Hall déteste. Inutile de dire qu’ils n’arrêtent jamais de se taquiner sur le sujet.
« C’est sûr qu’on a eu quelques échanges sur le sport », dit Bryan Hall, « car je suis bien plus anti Lakers que je ne suis pro Jazz. »
« Je connais sont point de vue sur la religion », dit Ruben Israel, « donc nous ne nous écharpons pas sur ce sujet toute la journée. Parfois je lui envoie un email pour lui signaler que les Lakers ont battu les Jazz, et il me renvoie un email équivalent. On fait un peu les fous. Il a un sens de l’humour et, croyez-le ou pas, j’en ai un moi-même également. »
Bizarrement, ces deux-là passent toujours un bon moment lorsqu’ils se voient. Bryan Hall n’aurait jamais pensé qu’un jour il passerait du temps à rigoler et à plaisanter avec l’homme qui, à un moment, lui inspirait tellement de haine. Et tout ce qu’il a fallu est un acte courageux d’amour fraternel.
« Je n’ai absolument plus de mauvais sentiments envers ces gens », dit-il. « Je ne les appelle plus des anti-mormons. Ce sont des prêcheurs de rue qui passent leur temps et dépensent leur argent en voyageant à travers le pays pour essayer de partager leur vision de l’évangile. Je n’aime pas leur approche et je doute de son efficacité, mais j’admire leur dévouement et leur courage. »
Bryan Hall pense enfin savoir ce que le Christ voulait dire lorsqu’il dit : « Aimez vos ennemis ». Ce fut un long voyage, et certainement pas un voyage facile, mais il a réalisé que lorsque vous parvenez à aimer votre ennemi, cette personne n’est plus votre ennemi.
« Lorsque vous avez un amour sincère envers quelqu’un qui n’est pas de votre foi », dit-il, « cela devrait changer votre vie pour toujours. »
Un film documentaire Us & Them (Nous & Eux) est sorti en 2013, en voici la bande annonce en anglais:
Article écrit par Jennie Spencer et publié dans LDS Living, traduit par Samuel Babin